jeudi 21 février 2013

... toi tu creuses

Vendredi 1er février 2013

6h30
J'etend ma lessive alors que les lueurs du matin pointent à peine, je passe à la cuisine des patrons prendre ma ration de weetabix, de tartines au beurre de cacahuète et préparer fissa mon casse croûte.
À 7h le type avec qui je vais bosser débarque, Mike, dans la soixantaine bien tapée. Un short d'écolier, des chaussures de sécurité et bon teint rougeot d'une peau blanche creusée, brûlée au soleil, les cheveux blanchis, comme décolorés. On embarque du matos qui traîne dans la ferme, quarts de rondin, demi poteau, pinces, bobine de câbles et agrafes pour clôtures, on remplit le réservoir du quad, j'me colle à l'arrière de l'engin et Alex démarre avec le chargement sur la remorque, on rejoint Mike plus loin le long de la route.
C'est pas les explications qui abondent ici, mais à ce que j'ai compris Alex et megan exploitent les terres pour de la viande de mouton. De la viande qui se retrouvera peut etre dans votre assiette car elle est toute envoyée en France!
Sur le trajet je découvre la vallée, boisée au bord de la route et du ruisseau en contrebas, pelée sur les hauteurs, décapitée par la déforestation intensive des premiers colons. La végétation est curieuse comme manipulée, peu de bosquets natifs, surtout des genres de platanes et peupliers dans le creux de la vallée, et forcement des pins sur les flancs, la région les cultive activement. Les sommets des collines de distinguent à peine, un épais brouillard se lève lentement pendant qu'on file face au vent sur le quad pétaradant.

Alex me débarque avec la remorque et poursuit sa route dans les collines. Megan, la femme d'Alex est venue mettre la main à la pâte. Avec elle je commence par dégrafer les battants brisés, la clôture est pas toute jeune, une bonne trentaine d'année et plus loin un type s'est ramassé dans le fossé après une soirée bien arrosée, megan connaît le gaillard, il a rafistolé à la va vite la quarantaine de mètres ou la voiture à atterri mais aujourd'hui c'est à nous de finir. Je commence a prendre le coup de main mais ma paume de bebe chauffe à manier la pince, ces petites sensations du travail manuel, se sentir vivant, enfin toujours un peu plus que derrière un écran LCD a pianoter du bout des doigts...
Arrivé a la nouvelle clôturee, megan fait demi tour avec le pickup, moi derrière qui jette des demi poteaux en face de ceux qui ont pourri. On rejoint Mike qui finit de retendre la clôture avec son attirail de chaînes de prisonniers, les strainers, qu'on pourrait traduire par "tensionneurs". C'est l'heure du lunch lance mon pro de la barrière. On se cale a l'ombre le temps de mastiquer et de se réhydrater, ça commence à cogner, je regrette pas mon superbe chapeau de paille fabriqué en chine pour deux dollars cinquante.
On rattaque par les poteaux, extraire les moignons enfouis en plantant la barre a mine de deux mètres et en l'utilisant comme pied de biche. Certains sont coriaces et on doit creuser autour pour les dégager, un travail de bagnard qui fait mouiller la chemise, mais on aime ça! bon, quand ça dure pas trop longtemps ...

L'affaire est pas réglée, s'agit d'en remettre un neuf, la plupart du temps on le met direct dans le trou et on sort la cloche, "the church bell"! Un cylindre en fonte ouvert d'un côté, avec deux anses de parts et d'autres. On enfourne le bazar sur le poteau, on se met chacun d'un côté, on empoigne les glissières et vas-y que je te le martèle pour le caler au fond! On finit à damer le remblais à la masse.

Quand il faut mettre un nouveau demi rondin les affaires se corsent. Soit qu'il y avait un manque soit qu'on veut créer une ouverture pour une barrière par exemple. Dans ces cas la on attaque à la pelle pour délimiter le rectangle, pelleter dans du gros gravier rien que du fun. Oui rectangle car certains poteaux donnent un angle à la clôture, plus de charge sur eux, du coup il faut leur mettre des calouzes au pattes, des cales en bois de part et d'autres pour éviter que la tension de la clôture ne les arrache du sol.
Mike prend son carotteur thermique, sorte de perceuse géante pour faire les trous de poteaux ou quart de poteaux selon la mèche. On met le casque sur les oreilles, on plante l'engin dans la terre argileuse et on démarre la bécane qui fait un potin digne d'une tronçonneuse en pleures.
On se retrouve parkinsonnien pour quelques minutes a forcer de tout son poids quand le sol est compact ou que la mèche est émoussée (merci Alex!) Deux trous plus tard, et le front qui perle ou dégouline selon le trou, on sort les pelles en fonte et la métale incurvée. On descend les parois à la verticale (surtout la face qui va recevoir le plat du demi rondin) a la pelle et punaise que c'est pas évident pour sortir les gravats à 80cm sous terre. Tout un coup de main que Mike à dans la peau. Le type me bluffe, sous ses airs de papy mougeot se cache un homme certes malin - chaque mouvement est efficace - mais un homme d'acier, pas un gémissement, soufflement! Pas de clopes, pas d'alcool ok mais le gaillard est toujours gaillard!
Après quelques heures, Mike jette l'éponge, c'est assez pour aujourd'hui, je dis rien mais je suis bien d'accord.

Dans la caisse, je jase un peu et parle de mon envie de partir quelques jours avant que me mère n'arrive histoire de m'essayer au surf à Gisborne. Mike en fait depuis 48ans qu'il me dit! Papy tient la vague, comme quoi ses t-shirts billabong n'avaient rien d'anodin (marque de surf).

Meme si je remet souvent en cause mes jugements hâtifs, le phénomène Mike enfonce la morale de ne pas se fier aux apparences, vraiment. Savoir retenir son jugement coûte que coûte, enfin au moins se la boucler!

Mike me dépose chez les patrons, on vide quelques outils à Alex, il me fait signe de la main et me dit à dimanche, claque la portière et redémarre le 4x4. On fait pas dans le sentiment ici!

Un peu hagard, je transfère mon backpack dans la maison des woofers et prend possession des lieux. Tout seul et Alex ne m'a pas parlé de nouvel arrivant, je m'étale complet dans la baraque qui compte 3 chambres et de quoi coucher 7 travailleurs de force. Je blague car ici c'est avant tout une sorte de woofing, c'est à dire un base de 4h de boulot par jour contre le logement et la nourriture. Alex m'a dit que selon ses finances et le boulot qu'il y avait à abattre (sous entendu s'il était abattu) il pourrait me donner quelques ronds. Du coup ça ferait mon affaire, mais je garde ça en bonus. J'apprécie avant tout les placards et frigo bien fournis, remplir l'estomac avant de remplir les poches! Comme boucle d'or je teste tous les lits. Pas de couverture réseau, pas d'internet, pas de télé dans cette cahute et c'est tant mieux, faut décrocher la perfu (bon pas totalement sevré je me connecte chez les patrons de temps à autre avc le câble ethernet mettre à jour un peu ce que vous lisez entre autres), en revanche la radio du combi ne capte rien. C'est pas un drame, j'installe le pc sur la table, mon jukebox et station photoshop pour les jours à venir, aussi mon talon d'Achille, passer du temps sur les prises de vues plus ou moins réussies des six derniers mois sur la route. En attendant le soleil se couche sur la contrée, je sors sur la véranda finir la thermos de thé et souffler un peu. Après mon frichti, je passe voir Alex lui demander ce qu'il a prévu pour le lendemain. Il passera me voir vers 8h qu'il me réplique, y'a deux trois trucs à faire avec le bulldozer dans les collines. C'est court comme réponse mais suffisant, à demain! Je salue la famille et les gamins qui jouent avec leur opossum semi apprivoisé. Les chiens de bergers enchaînés sous les arbres jappent a mon passage, je rentre dans mes pénates par une belle nuit étoilée, le gravier qui crisse sous les chaussures et l'humidité qui me dresse les poils sur les bras.

Samedi, j'accompagne Alex sur le sommet de la colline dont on rafistolait la clôture la veille. Le quad nous emmène presque au sommet je finis à pince avec les bottes à crampons. Alex escalade son bulldozer - un petit 7tonnes - et commence le nettoyage des pins que son propriétaire à vendu à des compagnies forestières. La plupart des arbres ont été emmené mais certains sont restés agrippé. J'attache les chaînes autour de branches qu'Alex dégage en marche arrière. Il sort la tronço et élague un énorme pin couché sur le sommet, prêt à faire le grand plongeon. Après plusieurs coups de tronçonneuse et poussées au bull, le tronc se retrouve en porte à faux quelques mètres plus bas. Prudemment on descend avec un demi rondin. En faisant levier à une extrémité, on pousse un grand coup et le tronc dévale la pente en un éclair, l'arbre craque et éclate tout a chaque rebond, il soulève un nuage de terre qui envahit l'horizon et monte à notre hauteur. Un seigneur est tombé.
Je passe le reste de la journée à plus faire figurant qu'autre chose, trop dangereux pour que je prennes la tronço sur les troncs instables, je fait l'assistant et apporte les outils à Alex quand il sort du bulldozer. Il descend plusieurs autres pins de 6-7 tonnes, bloqués entre deux buttes. Chaque gros arbre lui rapportera 300$ environ, dérisoire quand on voit le temps qu'il aura fallu pour que ces pins arrivent à maturité mais bon aujourd'hui dans la logique de globalisation le coût de chaque chose est dicté par les lois du marché, des lois artificielles. Les machines font tampons et permettent néanmoins de réaliser de substantiels profits. Les troncs seront débités et envoyés en Chine.
À la fin de la journée on repart en laissant derrière nous une colline un peu plus "propre", un peu plus stérile aussi.

Le soir hamisch, un des fils des patrons, me propose d'aller se baquer dans la rivière, je le rejoins en contrebas. Il fait bon et le soleil se couche, hamisch lance la pompe et installe le tuyau qui prend l'eau de la rivière et envoie la sauce sur une bannière publicitaire géante dépliée dans la pente, toboggan! On se tape le cul mais gros délire pareil, hamisch sort le bodyboard, je vous raconte pas les vols planés.

Dimanche je taquine le quad et passe une grosse journée avec Mike à finir la barrière, creuser, déblayer, enfoncer les poteaux, jambes d'appui, blocs, poser et tendre les câbles de la clôtures... Le tout sous un soleil de plomb, les cigales du coin s'en donnent a coeur joie, je me sens comme un bagnard posant du chemin de fer. Journée finie, je bois tout ce qui est liquide dans la cuisine, lait chocolaté frappé, thé, eau et colorant goût fraise (beaurkk ouais je sais), je met une gourde au congelo, salade de fruits qui sort du frigo, oranges fraîches, kiwis. L'orgie d'hydratation je suis un puits sans fond.

Lundi autre type de barrière , poteaux métal et grillage a attacher, la température est honorable, on passe l'après midi casque sur les oreilles à agrafer les battants au pneumatique sur la clôture du premier jour. Machine 1 peau 0, je me tape des cloques, le métier qui rentre et la connerie qui sort dirait mon père.
Je me retrouve avec des paluches de fermier, de la difficulté à plier les doigts, la journée a été bonne!

Mardi quelques gouttes le matin, Mike me conseille de prendre sa veste de pluie, je l'écoute et embarque à l'arrière du quad. À peine remis à clouter nos battants une pluie fine et glacée nous tombe dessus, "de l'Antarctique qu'elle vient" me lance Mike! La gabardine de cuir est trempée et je commence à avoir froid aux extrémités. Midi sonne on plie bagage, l'effort relâché je grelotte dans mes short et t-shirt, Mike m'explique que chaque année des types y restent en s'aventurant dans les bois sans équipement contre les intempéries. La météo ne fait pas de quartier dans ce pays, le proverbe local "si tu n'aimes pas le temps qu'il fait attend un quart d'heure" n'est pas a prendre à la légère.
À la casa je jettes quelques bûches dans le poêle à bois et je me change pour des affaires sèches et chaudes, 35degrés la veille et 12 humides aujourd'hui, sacré pays!

Le temps se radoucît et revient à de belles températures les jours suivants. Mike est parti ailleurs et Alex a pas vraiment besoin de mon aide. Le vendredi au reveil, je l'aide à rabattre quelques moutons égarés sur la route et à réparer un dix metres de clôture. Je lui annonce aussi mon intention de quitter les lieux le lendemain pour aller surfer à Gisborne. Plutôt embarrassé, je le sens manigancer un plan pour me garder, Mike revient dimanche et lundi finir le boulot.
Le même soir j'entends une voiture se garer à côté de ma casbah, je sors de la cuisine et fais la rencontre d'une nouvelle tête, Klaus, un allemand, ma relève!
Je lui fais faire la visite des lieux en lui expliquant comment se passe le boulot. Même âge que moi, Klaus mais 1,97m et des épaules de basketteur, je sens qu'Alex va être content. Il vient faire un tour ici en attendant que son job commence à hastings, cueillette de pommes!
Il va pas être déçu!
Klaus bossait sur les plateformes pétrolières ces 5 dernières années pour une compagnie qui enfonce des piles par hauts fonds, il pilotait des marteaux de quelques tonnes à 300t.
Entre son job et le mien à Montréal, notamment la mission d'operation planning pour l'extraction gazéifère de total en mer du nord, on en a ras le bol d'exploiter les ressources fossiles, tellement couteux en énergie, et aussi en terme de matière grise, il est temps de passer à autre chose!
Klaus pense à aller bosser dans l'éolien ou dans les champs de panneaux solaires. J'apprends aussi par le net que Corey qui m'avait pris sur la route dans le nord du Canada va quitter l'extraction minière des sables bitumineux pour retourner sur les bancs de l'école en énergie éolienne! Ça fait plaisir!
En tout cas on passe une bonne soirée a discuter et refaire le monde et doublement bonne car demain pas de job et Mike passe me prendre pour m'emmener à Gisborne. Je vais pouvoir le louer du matos et aller sur les vagues, je sais pas trop comment je vais rentrer mais on improvisera!
On éteint les lumières assez tard, c'est chouette de partager de bonnes conversations, deux européens perdus à l'autre bout du globe, du n'importe quoi! On cherche et on va trouver, énergie gare à toi, énergie nous voilà! Bref on va commencer par bien l'économiser, demain surf et dimanche ... on creuse, bonne nuit!

la brume matinale

le troutroutteur massotherapeute

strainers, les chaines de ninja pour rafistoler, retendre les clotures, bien pratiques

Mike en train de planter le devideur de fil d'oeuf

plus qu'une barriere, une oeuvre d'art

clotures poteaux metal et grillage, une variante appreciable, moins crevante

la colline qu'on a cloture sur du 40deg d'inclinaison le dernier jour

mes mains rachto ont double de volume

j'ai des boudins michelins a la place des phalanges

il a fait froid et j'ai fait du feu dans le poele, autant dire que j'ai pas manque de buchettes

ma tanière pour neuf jours, mes soirees sur l'ordi a faire chauffer photoshop
 
la riviere pour se prelasser et se predecrasser

des soirees chaudes coupees par des matinees humides ou des pluies glaciales

mes amis les betes sous les arbres exotiques




fier comme un c

t'aurais pas une petite epluchure pour moi?

coupe d'ete

t'es qui toi

tondeuses tondues
a l'assaut des monts peles voir le soleil disparaitre



un pin d'elevage dans son rond vaporise au désherbant total

une constellation de pousses, sur les collines environnantes

salut

etranges lieux, transformes par la main de l'homme, une beaute artificielle

je m'occupe de nourrir le petit Klaus, salade, crepes party et grillades de mouton

mayo maison pour les homards que nous a ramene le patron, sacre repas pour des manards!

ciao les gars

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