vendredi 12 avril 2013

Les mains de Bacchus

Un matin, fin mars 2013

5h40 "coin coin coin coin ...." la sonnerie canard de mon réveil s'élève dans la chambre silencieuse, on est tous encore sous la couette... les corps remuent grapillants les derniers instants de sommeil profond, des pieds depassent d'un lit.
5h45 j'émerge de ma léthargie et descend de mon lit superposé par un saut de cabri, ou plutôt d'éléphant à cette heure la. J'entrebâille la porte et a la lumière du couloir farfouille pour trouver mes affaires dans la pénombre. Quelques bruits de pas dans le couloir, des poignées de portent qui grincent, l'auberge s'éveille doucement.
Je descend à la cuisine et fais chauffer la bouilloire, je pose mon sac d’épicerie sur une table et m'enfile des tartines pendant que mon muesli gonfle, je prépare un sandwich pour compléter les restes de la veille, mon casse dalle pour ce midi.
6h15, la cuisine tourne à plein régime, chacun s'affaire à se préparer pour la journée de vendanges.

Je remplis mes bouteilles d'eau, j’attrape mon sac et sort prendre l'air. Les clopeux allument leur roulées pendant qu'a l'est un léger halo de lumière détachent les nuages d'un fond bleu marine. Tom gare le van devant la cuisine, les phares brumisants l'humidité matinale. On charge l'utilitaire, douze de nous aux nationalites multiples, Thomas le Tcheque, Alex, Tom, Pete, Jen les anglais, Jenny l'allemande, Sam la Canadienne, Hiro le Japonais, Tucker l’Américain, Joe l’Ecossais, et Audrey et moi pour la France. Les deux van et le break démarrent, la trentaine de cueilleurs file vers l’entrée de Blenheim.






6h45, à la station service c'est la parade de véhicules, Tony le manager orchestrant les manœuvres pour donner les directions vers le vignoble du jour. Tony, mâchoire carrée et fin liseré de barbe, casquette vissée, veston jaune fluo, marcel, short et chaussures de sécurité, un grand maori tatoué local sur les épaules et carrossé comme un rugbyman, quoique son bide naissant laisserait penser qu'il pratique plutôt le sport avec la télé et la binouze. La cohorte se met en branle. Une ligne d'une vingtaine de véhicule s'élancent sur les monts au sud de la ville. Le long du trajet, j'observe a travers les carreaux, les premiers rayons qui lèchent un plafond nuageux molletonné. Des formes étranges prennent vie, irriguées d'un orange éclatant. On traverse les collines pelées sous l’œil des vaches qui finissent à peine leur nuit. Tom active le clignotant, on quitte la route principale, le convoi se taille un chemin entre les vignes. Les véhicules de devant soulèvent un nuage de poussière éclairé par la lumière des phares. Ça secoue un peu. La ribambelle de véhicules se gare en un grand demi tour pour former deux files indiennes, Tom tire le frein à main et coupe le contact. Silence, le bruit d'un imperméable qui remue, Pete ouvre la porte latérale, l'air frais s'engouffre. Je m'extirpe de ma place exiguë. Les fumeurs rallument leur mégot.Quelques minutes plus tard la voix de Tony retentit, on se rassemble pour écouter le plan de la journée, 7 blocs et 48tonnes à picker - cueillir -, la journée va être longue.








On se dirige vers les premières rangées, les dispatcheurs nous envoient par paire dans les rangées, je sors mes sécateurs, je marche avec mon compagnon du jour, chacun d'un côté de la vigne, on arrive devant la première baie vide - un tronçon de vigne entre deux poteaux - on pousse du pied la caisse plastique sous les premières grappes, un coup de sécateur, je jettes un bref coup d’œil pour sectionner les potentielles parties moisies et ploum dans la caisse, c'est parti pour la journée. À la fin de la baie on laisse la caisse au poteau suivant, une équipe passera d'ici quelques minutes la vider dans la remorque d'un tracteur viticole dans cette rangée ou celle d’à côté. Puis on marche en tête de file jusqu'à la prochaine baie disponible. Et ainsi de suite durant 2-3h, pendant que Tony vocifère dans les rangs "allez les gars on y va!" "pas de pourri! pas de feuilles! et pas de deuxièmes pousses!"regardez chaque grappe! Chaque grappe!" "je regarde dans vos caisses" "vous devez cueillir plus vite maintenant!" "marchez plus vite!" "travaillez plus vite!" Tony jongle entre ces poèmes en fonction de l'heure de l'humeur et de la qualité du raisin, il les agrémente parfois d'un "ladies and gentlemen" mais ne se lasse jamais de beugler, un côté camp de prisonnier assez particulier, on se casse déjà le dos et lui nous casse les oreilles. Il est secondé de Craig, son chef, même dégaine, blanc plus petit et plus bedonnant, il est pendu au téléphone avec les grands patrons quand il ne passe pas derrière nous pour nous faire la morale sur ce qu'on a oublié ou mal cueilli.

J'ouvre une parenthèse sur ce drôle de monde, ce pays qui a transformé son économie saisonnière avec le tourisme, des rapports inversés ou l'européen en voyage se voit traité comme une vache a lait, son seul moyen de continuer le voyage dans un pays ou la vie et toutes les activités sont hors de prix, certainement pas destinées aux locaux. Une compagnie comme Mr Apple a Napier emploie une grosse centaine de personnes à l'année et près de deux mille pendant la cueillette des pommes. Ces boîtes comme nos contracteurs pour les vendanges n'emploient que des étrangers car sous couvert de dire que les maoris sont feignants - et le chômage est grand parmi eux - ils préfèrent travailler avec des personnes qui connaissent peu leurs droits et ne reviendront pas l'année prochaine. Des exploitants payent aussi a la rentabilité sans couverture de salaire minimum. Ma version est un peu schématisée mais malgré certains côtés sympa avec les patrons,
blagues et bonne humeur, la réalité du commerce est assez cruelle. Les propriétaires et exploitants de vignes ne peuvent pas embaucher directement des gens, ils doivent passer par des auberges qui leur fournissent la main d'œuvre. Ainsi les tenanciers s'assurent d'avoir des rentrées d'argent avec leur locataires saisonniers. Et quand il n'y a pas de travail et bien on paye quand même l'auberge. Tout une logique d'exploitation de la manne touristique assez incroyable. Fin des errements socio-eco-philosophiques, je replonge ma tête dans le cep.






11h, c'est le break d'un quart d'heure, la pause syndicale mais les horaires sont variables, Tony décide en fonction de l’avancement du bloc. On revient a nos vans s'allonger cinq minutes dans l'herbe rase et jaunies des canicules passées, on mange un morceau et on boit un coup de flotte avant que la voix de Tony ne nous rappelle déjà au turbin. Je retrouve mon partenaire et rebelote jusqu'à la pause lunch d'une demi heure et même cadence l'après midi. On déménage plusieurs fois dans la journée, les contrats englobent plusieurs propriétaire pour cueillir les différentes catégories de raisins en fonction du taux de sucre: pinot noir, sauvignon blanc et chardonnay, le tout à la main. Le reste est fait par les machines, des tracteurs à vignes qui enjambent le rang, le secoue et en aspire les grappes qui tombent en perle, comme dans pas mal de région françaises, une technique bien plus rentable mais d'une qualité moindre, tout le pourri y passe. Le jour décline, on finit sur une parcelle en cote, ça me rappelle le bon temps dans les vignes du beaujolais, encore une fois Tony bonimente sur le nombre de rangées a faire pour nous presser. Puis soudain c'est la fin, debriefing rapide sur la journée et on rembarque dans la van pour regagner nos pénates.

Les journées de travail durent entre 7 et 12h sans compter le temps de transport d'1h30 aller retour parfois, et ce 7j/7. En moyenne, à 12,5$/h cash dans mon compte, pas des masses quand on sait qu'une plaque de fromage d'un kilo entrée de gamme coûte 10$. Avec ces horaires autant dire qu'on fait pas long feu entre les crochets au supermarché, le souper, la préparation de la bouffe pour les lunch et ou jours à venir pour les plus intrépides. Au retour, on discute avec les copains sur les anecdotes du jour pendant que d'autres végètent devant le néon de la télévision, je fais connaissance avec les nouveaux arrivants, ça tourne, une petite partie de backgammon, je lis quelques pages ou boit un canon a l'occasion.
22h30 silence dans l'auberge, on a quasiment tous soufflé les bougies.
À demain raisin.

jeudi 11 avril 2013

huit clos

Mercredi 13 mars a l'aube, Wellington, rosemere backpacker

- Hier j'ai envoyé un mail à Jenny une allemande rencontrée à Nelson au nord de l'île du sud, elle part aujourd'hui à blenheim pour l'auberge grovetown ou le proprio fournit du travail à condition qu'on loge dans son backpack, un classique en nouvelle Zélande... Certains demandent même une caution au cas ou on partirait avant les semaines destinées à remplir la fonction (vendanges, emballage de pommes, ...) incroyable le nombre de garanties que le patron peut avoir dans ce pays! -
On se réveille de bonne heure dans une auberge de fêtards qui roupille profondément. On profite les premiers du petit dej gratos, un des bons côtés de l'auberge. Je fourre quelques tranches de pain de mie pour notre picnic sur le bateau à destination de l'île du sud. Je monte à l'étage embrasser mon Mika, la visite express me frustre, je pars sans me retourner, qui sait quand et ou on se reverra...
Hop on est dehors nos sacs maison sur le dos, le ventre et dans les mains. On transporte le bazar jusqu'à la navette qui nous emmène à l'embarcadère. Le déchargement à du retard, et incroyable un train sort de la cale! On a le temps de contempler la quantité impressionnante de wagons qui peuvent rentrer dans notre ferry, pas moins de trente spécifie la brochure. Ils traversent le pays, comme nous.

Salut Wellington, salut ile du nord

On pénètre dans le dédale de langues de terres de l'ile du sud

Après un bis repetita sur le traversier des deux iles qui constituent le pays, on renfourche nos sacs et on marche jusqu’à la sortie de Picton, port d’entrée de l'ile du sud. On tend le pouce et peu après un autre type se poste derrière nous. Une bonne demi-heure d'attente au soleil et un type des iles Fidji nous embarque ainsi que l'autre pouceux qui s'en va rejoindre sa famille a Christchurch! A l'approche de Blenheim, je repère le nom des routes, l'auberge donne sur la départementale, ça y'est je reconnais le lieu grâce a mes impressions écran des cartes internet. On remercie notre chauffeur et on traverse prestement la route ou les voitures filent a toute vitesse, pas de limitation de vitesse le hameau est sur une perpendiculaire a la route, de l'autre cote de la ligne de chemin de fer, également en face de l'auberge, un lieu charmant. On ouvre la porte de l'auberge-resto-bar de Grovetown et on rencontre le proprio Damian, il passe en coup de vent car sa femme va accoucher, il y a de la place dans les dortoirs apparemment. On décide de se poser même si il n'y a pas de boulot assuré pour les prochains jours. On traverse les parties communes et je vois la Jenny qui matte la télé, elle vient juste d'arriver. On se salue surpris de se retrouver après si peu de communication. Je m'installe dans un dortoir de gars, deux Anglo et un Américain partagent la chambre. Audrey se retrouve avec Jenny et les jours suivants, une Canadienne et une Japonaise les rejoignent. On fait connaissance avec le monde de l'auberge, la plupart jongle entre les travaux au jour le jour que Damian leur fournit, priorité aux anciens. Jenny a la chance de cueillir du raisin pour le champagne des le lendemain. Une grande bande de français occupe aussi les lieux, mince! enfin la cuisine car sinon ces trois couples et une amie dorment dans leur van, sur le terrain a l’arrière du bâtiment. Rate pour l'immersion, ça tchatche français on se croirait dans un camping franchouillard!

Et les jours passent, les vendanges sont retardées car les vignerons attendent la pluie. Ensuite vient l'attente du soleil pour faire remonter le taux de sucre dans les raisins. Le proprio nous offre 4nuits quand une nouvelle fois la date de démarrage est repoussée.

On met a profit ce temps pour faire connaissance avec les occupants et explorer les environs, a pied ou a velo, Damian en laisse quelques uns pour les voyageurs a pied. Quelques fois on fait du covoiturage avec des copains qui ont un van, histoire de faire le plein de provisions. L'auberge est souvent bruyante entre la quarantaine de personne qui se partage les parties communes, la route et le chemin de fer sous nos fenêtres, il est parfois bon de s’évader. Mais le coin ne laisse pas des souvenirs impérissables, toute la vallée est occupée par les vignes et la plage est assez inaccessible et battue par les vents. Mais on prend le temps d’apprécier le quotidien se préparer des bons petits plats, s’échanger les conseils avec les autres, s'entrainer a faire son propre pain., boulettes de viandes, galettes de lentilles, tartes et gateaux pour fêter les anniversaires, lever le coude autour d'un biere pong pour la st-patrick.

notre palace, au fond a gauche la cuisine et au dessus nos chambres

les grappes attendent et nous aussi

la rivière wairau

le voile qui laisse ce faumeux taux de sucre stagner

magnifique plage de boue, une sortie de toute beauté, une vue imprenable


petite balade a 20 min a pied histoire de bouquiner dans l'herbe loin du bruit de l'auberge, des voitures et des trains





une escapade pour faire trempette, je tente le coup a vélo jusqu’à l'embouchure de la riviere Wairau




au loin l’Amérique du sud

l'eau est fraiche, très fraiche




un drole de crane trouve sur les galets, des idees?





les cuves a tracteurs viticole sur les starting blocs

le raisin fait le plein de sucre pour le marathon des vendanges





Pour nous faire patienter, Damian nous prete un van pour aller faire les degustations de vins





dégustation dans une brasserie locale, MOA

cocorico, une bouteille de cahors en bas a gauche


a la votre, hips!
le soleil revient et les vendanges commencent demain!

anniversaire de Katia, une des française, basque pardon

recette familiale, la bonne vieille tarte poireaux oignons

Le temps est parfois long et les camarades ne parle que de la météo. En attendant les premières vendanges Damian fait son beurre: déjà deux semaines que l'on reste a son l'auberge. Je pourrai prendre le large avec l’éventualité qu'une autre personne prenne ma place, mais j'ai aussi besoin de ce temps pour moi, le temps pour me poser et regarder passer les nuages.

Ps: j'ai hésité à intituler cet article un peu facilement "les raisins de la colère" mais ce temps à tuer jusqu'au démarrage tardif des vendanges m'a fait un bien fou. Je ne l'ai pas mis à profit, je l'ai pris comme tel à faire des petits rien dans ma journée, m'occuper tout en laissant la place à l'instant, juste apprécier d'être la. En quelques sortes ce huit clos avec mes compères de misère - amis de vendanges - est devenu une sorte de retraite pour méditation. C'est comme si ce lieu permettait à tous les autres moi encore sur la route de me rattraper ici. Et ce lieu le permet je ne dis pas que c'est ce qui se passe. En pratique j'en fais encore trop et je ne laisse pas assez de temps à la méditation. Mais une chose est sûre je vis le présent de mes journées aussi simples soient elles.